Chronique du film SILENCE d’ Amog Lemra – par Anthony Mouyoungui : Le reflet de notre folie ?

“Silence”, le nouveau film de Glad Amog Lemra, projeté en avant-première le 14 juin 2016 à la Maison des Auteurs à Paris, est un véritable choc pour le spectateur et les mots ne manquent pas pour qualifier ce court-métrage: “Epoustouflant !”, “Fort !”, “Magique !”, “Poignant !”

Il est assez étonnant de voir qu’un film muet tourné en noir et blanc puisse susciter autant de réactions positives. Mais, après l’avoir vu, on comprend aisément. Certes, il n’y a pas de dialogue mais le film parle à travers les gestes et attitudes des acteurs, il passe un message avec les écrits et les noms des héros inscrits sur des feuilles.

Imaginez un instant, un pays au sous-sol très riche (pétrole, or ou diamant), dans lequel les citoyens sont, tels des moutons, sélectionnés selon des critères qu’ils ne connaissent pas. Les uns sont épargnés, et les autres passés à l’abattoir (le mot n’est pas exagéré). Parmi ces derniers, il y a Patrice Lumumba, Franklin Boukaka, Thomas Sankara ou Norbert Zongo. Des noms qui parlent à tout africain et qui n’ont pas été choisi au hasard. Imaginez tout cela et vous avez le décor de ce court-métrage d’une vingtaine de minutes, des minutes d’émotions, de soupirs et de larmes.

“J’ai ramassé un miroir et je vous le présente afin que chacun puisse y voir son reflet” souligne le réalisateur.

“Silence” est le reflet fictif de ce que le continent vit depuis des années : usurpation de pouvoir, privations de libertés fondamentales, violences politiques, enrichissement illicite et mainmise des multinationales sur les richesses (symbolisée dans le film par un personnage occidental très lié aux dictateurs).

“Face à cette Afrique de douleurs, le réalisateur nous renvoie dans notre passé silencieux pour mieux comprendre l’avenir. On s’approprie ce silence, on se l’interprète on en fait naître” ajoute Dorisca Mounzenze, une militante associative, bouleversée par ce voyage. Aucun pays n’est désigné directement du doigt mais le spectateur comprend facilement le langage du réalisateur, son silence fait de non-dits et de sous-entendus, le tout dans un épais voile de silence, brisé par les pleurs d’une enfant, rapidement réduite au silence par une femme froide et sans pitié. L’analogie avec la mère Afrique qui tue ses propres enfants est vite fait.

Au-delà de nous présenter un miroir, un cri de rage contre ce que l’on peut appeler “la folie africaine”, ce film séduit par son casting atypique. Il est composé en majorité d’acteurs amateurs, dont certains sont à leur première expérience devant la caméra. Le résultat n’en est qu’on ne peut plus surprenant.

L’oeuvre est aussi servie par une bande son de qualité, avec des artistes tels que Franklin Boukaka, Jacques Loubelo, Samba Ngo ou Tiki Black : les vagues de la bande sonore comme cheminement normal de la pensée du réalisateur. Puisque le dialogue n’existe pas dans le film, la musique parle à la place des acteurs.

Silence est un message contre l’oubli et pour l’éveil de conscience. L’Afrique ne doit pas oublier ses enfants qui ont payé au prix fort leur idéal de justice, de liberté et de paix. Les africains doivent se réapproprier non seulement leur histoire mais aussi leur présent pour mieux construire leur avenir. En fin de compte, le silence ne doit plus régner sur les questions qui concernent le continent, sur les évènements qui s’y produisent. Nous devons le briser, ce silence par la parole, par les pleurs. Tout sauf le silence !!!